Claudio Galderisi et Paolo Tortonese, représentants QSF, ont été auditionnés au ministère de l’enseignement supérieur à propos des « référentiels » prévus par l’arrêté sur la licence. Ils ont été entendus par des membres du ministère, parmi lesquels Mme Florence Legros, prof. à Paris-Dauphine, recteur de l’Académie Dijon.
Les représentants de QSF rappellent d’abord la position critique de leur association à l’égard de l’arrêté sur la licence du 1er août 2011, qui inaugure une politique de professionnalisation systématique des formations de licence sous prétexte de lutte contre l’échec. QSF désapprouve en particulier la décision d’élargir la compensation à l’année entière, qui correspond à une volonté de brader les diplômes. Elle rappelle que la compensation, même semestrielle, est contraire à l’esprit et à la lettre des accords de Bologne et incompatible avec le système des ECTS, auquel la France a formellement adhéré.
La professionnalisation des licences risque de rabattre l’ensemble des formations du niveau L sur le modèle des licences professionnelles : cette politique serait extrêmement dommageable pour les études universitaires qui perdraient leur spécificité : leur rapport étroit à la recherche. Les conséquences d’une professionnalisation systématiques des Licences ne tarderaient pas à se manifester dans les masters, qui ne recevront plus des étudiants suffisamment formés à la réflexion théorique.
Le projet de référentiel porte en grande partie sur les rapports entre connaissances et compétences, mais la manière dont cette question est abordée nous semble contradictoire.
D’une part, un certain nombre d’affirmations vont dans le sens de la distinction claire entre une formation visant simplement la maîtrise de procédures ponctuelles, et une formation apportant des connaissances théoriques générales et utilisables à plus large échelle. On lit dans le document relatif aux Sciences et Technologies :
Les disciplines scientifiques reposent sur des principes et des concepts universels établis antérieurement et qui doivent être assimilés et compris dans la forme et le fond. C’est ce qui différencie la licence généraliste des autres formations techniques où les principes et concepts sont souvent utilisés comme des outils. Sa construction cognitive, fondée sur la méthode expérimentale, est aussi structurée et nourrie par les nouvelles avancées de la recherche.
Semble reconnue aussi la valeur pratique des études théoriques, notamment l’importance de l’esprit critique qu’on peut acquérir par des études généralistes et ses retombées positives dans la vie professionnelle :
Une licence SHS est généraliste en ce qu’elle développe une culture générale dont le but est d’épanouir la personnalité tout en développant des compétences génériques utiles pour tout emploi dans des postes à responsabilité ou de cadres intermédiaires du secteur public et privé, et pour un engagement actif dans la cité. Cette culture générale vise principalement à développer l’esprit critique, la capacité à se former un jugement autonome, à savoir contextualiser les problèmes, ainsi que le goût et la volonté de continuer à apprendre tout au long de la vie.
On ne peut que souscrire à ces affirmations, et à la longue liste détaillée des compétences dites transversales et préprofessionnelles qui est dressée dans le projet de référentiel. On remarquera que toutes ces compétences sont générales, pour tous les domaines d’enseignement, et ne peuvent qu’être telles. Les compétences ponctuelles relatives à telle ou telle tâche dans une entreprise ou dans la fonction publique ne sauraient faire l’objet précis d’une formation universitaire de licence, qui doit rester disciplinaire et généraliste.
D’autre part, le projet de référentiel semble malheureusement s’orienter dans une autre direction. La partie 4 du document relatif aux SHS, en particulier, qui s’ouvre en proclamant la « nécessité d’une véritable révolution pédagogique : c’est l’étudiant et non plus l’enseignant qui doit être au centre du système. » Ce n’est pas avec ce genre de formules creuses qu’on fera avancer la discussion. L’opposition entre enseignants et étudiants n’est pas seulement stérile, elle est nocive. Si le système a un centre, ce centre ne coïncide pas avec telle ou telle catégorie de personnes, mais avec le savoir, vers lequel les efforts de tous les acteurs doivent tendre.
Ensuite le projet exige, sur la base de la « révolution pédagogique » invoquée, que le contrôle des connaissances devienne un contrôle des compétences. Là on assiste à un changement d’attitude radical : les connaissances ne sont plus le fondement des compétences, mais s’opposent à elles. C’est pourquoi le projet prévoit ceci : « Les enseignants ne doivent pas seulement transmettre et évaluer des connaissances, mais aussi définir et vérifier des résultats d’apprentissage » Cette dernière notion est des plus floues : on nous l’explique en précisant que les résultats d’apprentissage sont « ce que l’étudiant est censé savoir, comprendre et être capable de démontrer au terme d’un processus de formation ». On s’y perdrait, si la phrase suivante n’était plus nette : « C’est à partir des résultats d’apprentissage, et non pas des connaissances, que peuvent être identifiées les compétences acquises. » Il est enfin clair qu’ici la compétence non seulement se distingue, mais s’oppose désormais à la connaissance. Ce qui signifie que l’exercice donné à l’examen doit être pensé comme susceptible de mesurer la capacité d’accomplir une performance précise, et que cette performance est conçue en vue de sa conformité à des tâches de travail futures.
QSF attire l’attention sur deux défauts de ce raisonnement. D’abord, l’exercice accompli à l’examen doit précisément montrer l’assimilation des connaissances nécessaires à la performance requise : cela vaut pour un exercice de mathématiques comme pour une dissertation de philosophie. Ensuite, dans aucune situation de travail réelle on ne reproduit exactement les exercices scolaires : on ne fait pas d’exercices de mathématiques dans les entreprises ni dans la fonction publique. Ce que l’exercice montre, c’est la présence des connaissances assimilées et la capacité de s’en servir en général.
L’exemple donnée par le projet, en corollaire de la partie 4, est extrêmement significatif de la confusion qui règne à ce sujet. Après avoir déploré le contrôle des simples connaissances, on décline par points les résultats d’apprentissage suite à un cours sur la religion grecque dans le cadre d’une licence d’Histoire.
Résultats d’apprentissage attendus :
- Connaître les principales caractéristiques de la religion grecque
- Être capable d’analyser dans ses grandes lignes un récit mythique
- Être capable de décrire les principaux monuments d’un sanctuaire et leur fonction
- Être capable de comprendre la place et la fonction du sacré dans les sociétés
- Être capable de replacer la religion grecque dans l’histoire des religions occidentales
- Être capable de réunir une documentation appropriée, tant au niveau des sources primaires que de la bibliographie
- S’exprimer dans une langue écrite et orale correcte.
Il n’est pas difficile de montrer que les points 1-5 concernent des connaissances, comme le langage utilisé le rend évident : « Être capable d’analyser » « Être capable de décrire » « Être capable de comprendre », etc. On reste perplexe après une telle lecture.
Quoi qu’il en soit des contradictions internes de ce projet de référentiel, QSF rejette la tentative de transformer les enseignants-chercheurs, c’est à dire des chercheurs qui enseignent, en évaluateurs de compétences professionnelles qui raisonneraient comme des directeurs de ressources humaines, et jugeraient en prévision des choix d’un recruteur virtuel.
En ce qui concerne le « supplément au diplôme », document prévu par les accords de Bologne puis précisé par des accords ultérieurs, le projet de référentiel demande qu’il contienne désormais une « indication des compétences acquises par le diplômé ». Ce descriptif individuel devrait rentrer dans la rubrique 4.2. intitulée « exigences de la formation », qui avait jusqu’à maintenant la fonction d’une « simple description des contenus du programme » de la formation.
Or, il est évident qu’une telle disposition, qui prétendrait décliner de façon individuelle les compétences acquises par chaque étudiant de Licence n’est pas réaliste. Cela reviendrait dans tous les cas à la simple reprise des listes de compétences générales que le projet établit, et aboutirait à une grande et inutile opération bureaucratique. Le nombre d’étudiants et le taux d’encadrement actuels ne permettent absolument pas d’envisager une telle précision dans la description des compétences individuelles. Une solution plus simple et plus efficace serait d’assortir le diplôme de chaque étudiant d’un document contenant la liste détaillée de ses notes pour chaque unité d’enseignement tout au long des semestres qu’il a réussis.
Pour finir, QSF regrette que les sociétés savantes n’aient pas été auditionnées lors des consultations menées par le MESR au sujet des référentiels de la licence. QSF demande que la communauté universitaire soit entendue et qu’elle soit associée à la réflexion sur les référentiels, à travers la création de groupes disciplinaires spécifiques.