La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a lancé une concertation sur la reconnaissance de l’engagement pédagogique des personnels de l’enseignement supérieur. Comme l’on peut lire dans le communiqué du 23 octobre dernier, Mme Frédérique Vidal a annoncé notamment la création en 2019 d’une « prime de reconnaissance de l’engagement pédagogique », destinée aussi bien aux enseignants-chercheurs qu’aux enseignants exerçant dans l’enseignement supérieur, et le doublement « dès le premier semestre 2019, du nombre des congés pour recherches ou conversions thématiques (CRCT) ». http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid135486/mesures-en-faveur-de-la-reconnaissance-de-l-engagement-pedagogique-des-enseignants-chercheurs.html
QSF ne peut que se réjouir de la volonté, affichée par la ministre, de doubler le nombre de CRCT, qui passerait ainsi de 875 à 1 800. Il s’agit d’un premier effort qui peut être salué, même si, compte tenu du nombre d’enseignants-chercheurs concernés (plus de 52 000), cet effort ne permettrait à un enseignant-chercheur de bénéficier d’un semestre sabbatique qu’une fois tous les trente ans, c’est-à-dire une seule fois dans sa carrière, ce qui est encore largement insuffisant.
Toutefois, les mesures annoncées par la ministre ont donné lieu à deux propositions qui s’inspirent d’une vision opposant fondamentalement enseignement et recherche. QSF est résolument hostile à une séparation des deux missions universitaires et tient à rappeler que le principe même de l’enseignement supérieur est qu’il n’y a pas d’enseignement sans recherche et que l’enseignement et la recherche doivent se nourrir mutuellement.
La loi Orientation et réussite des étudiants (ORE) a mis au centre de son dispositif d’orientation sélective les attendus demandés aux bacheliers et les parcours d’accompagnement pédagogiques qui devraient permettre à ceux qui ne les possèdent pas de les acquérir. QSF est l’une des rares organisations représentatives à avoir soutenu la nécessité d’une orientation sélective et d’une pédagogie propédeutique.
Or proposer une prime d’engagement pédagogique et de formation (PEPF) qui ne serait pas exclusivement destinée aux enseignants-chercheurs s’investissant dans l’enseignement en première année de licence ne permet ni de répondre aux attentes de la loi ORE, ni de favoriser l’investissement pédagogique des enseignants-chercheurs les plus qualifiés. De plus, le fait de différencier la PEPF de la prime d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR), constitue pour QSF une atteinte au caractère consubstantiel des deux missions de l’enseignant-chercheur, et risque de favoriser des stratégies de carrière pouvant aboutir à la création de deux corps distincts au sein des universitaires : ceux qui se destineraient à la formation et ceux qui privilégieraient la recherche. Une telle réforme confirmerait la tendance récurrente à la secondarisation de l’enseignement supérieur et serait inacceptable pour QSF.
QSF met également en garde contre le projet d’évaluation de la « qualité pédagogique » des cours qui pourrait assez facilement conduire à porter atteinte à la liberté d’enseignement, composante majeure des libertés universitaires. Par ailleurs, l’évaluation des cours par les étudiants, également prévue, n’est pas envisageable sans une réflexion approfondie sur ses modalités ainsi que sur les avantages et les inconvénients qu’elle comporterait.
La communauté universitaire reste très attachée aux libertés universitaires, qui sont la condition de l’exercice de ses deux missions. La modification du décret statutaire, qu’implique le projet ministériel, peut être une source de crise et de blocages, comme cela a été le cas en 2009.
Le ministère prévoit également la création d’un « congé pour ressourcement/reconnaissance pédagogique (CRRP) », qui devrait « permettre de développer des projets de formation d’envergure et valoriser […] la dimension qualitative de l’investissement dans la pédagogie ». Il s’agirait donc de prévoir des CRRP (en nombre équivalent aux CRCT), que l’on pourrait demander dès le printemps prochain, alors même que personne n’est en mesure d’imaginer combien d’universitaires souhaiteront déposer une candidature pour ces CRRP et que la communauté universitaire disposerait seulement de quelques semaines pour élaborer de tels projets.
Là encore, ces congés ne concerneraient pas spécifiquement les enseignants-chercheurs qui se sont investis dans la première année de licence mais des universitaires qui auraient conçu des projets pédagogiques innovants. Dispensés tant des missions de recherche que d’enseignement, ils n’auraient, pendant ce temps, d’enseignants-chercheurs que le nom ! QSF ne saurait admettre une telle modification du décret statutaire. QSF estime, par ailleurs, que l’accent excessif mis sur l’innovation pédagogique risque de favoriser de manière artificielle le développement des recherches dans le domaine des sciences de l’éducation, ce qui ne semble pas relever de la fonction ministérielle. Il insiste sur le fait que l’encadrement pédagogique doit être destiné à la formation des étudiants et en aucun cas à la formation des enseignants-chercheurs, comme semble le prévoir le projet actuel. QSF est depuis toujours opposé à une transformation des pratiques pédagogiques qui mettrait en cause l’enseignement disciplinaire, le rôle didactique des enseignants-chercheurs et la fonction irremplaçable de l’enseignement « en présentiel ».
QSF ne pourra être favorable aux deux mesures annoncées par la ministre que si elles seront destinées à améliorer la reconnaissance de la mission de l’enseignement et plus globalement des conditions de travail et de recherche de tous les universitaires, sans distinction entre chercheurs et pédagogues.
QSF propose donc que la prime d’encadrement doctoral et de recherche devienne la prime d’enseignement, de direction et de recherche, ce qui contribuerait à mettre davantage en valeur la première mission de l’universitaire, l’enseignement. Une telle prime aurait entre autres l’avantage de conserver le même sigle (PEDR). QSF demande que des indications claires soient transmises aux sections du Conseil national des universités (CNU) pour que la reconnaissance pédagogique soit mieux prise en compte dans l’évaluation de la PEDR et qu’un quota proportionné au nombre des candidatures puisse être attribué aux enseignants-chercheurs qui se sont investis dans les formations de première année.
En ce qui concerne les CRCT, QSF considère qu’en l’absence d’un bilan des premiers résultats de la loi ORE, il est inconcevable de vouloir fixer un quota de congés destinés à l’élaboration de projets pédagogiques innovants, alors même que les enseignants-chercheurs ne peuvent bénéficier actuellement que d’un congé semestriel pour recherches tous les soixante ans. QSF demande, en revanche, que le nombre de CRCT soit au moins doublé et qu’une partie de ces congés puisse être réservée aux universitaires qui se sont investis dans les formations de première année, tout en poursuivant leur activité de recherche.
QSF est en outre persuadée que la reconnaissance de l’investissement pédagogique relève prioritairement des universités qui, en vertu de leur l’autonomie, devraient avoir intérêt à ce que leurs enseignants soient à la hauteur de leur mission d’enseignement.
QSF souhaite enfin qu’un bilan national de l’offre de formation proposée dans les parcours d’accompagnement pédagogique soit fait à la fin de la première année de la loi ORE. QSF s’engagera dans cette direction dès le mois de février prochain, en organisant un colloque sur la première année de licence, pour que l’orientation et la réussite ne restent pas des mots vides de contenus.