Il faut rappeler que les universités sont plus anciennes que la République et que la logique de leur fonctionnement diffère de celui de l’enseignement primaire et secondaire. En particulier, elles ne sont un instrument ni de l’État, ni de la Région. Le service qu’elles aspirent à rendre à la société, dans le cadre de la Nation et bien au-delà, réside dans l’acquisition, la conservation, la critique et la diffusion impartiales du savoir pour les générations présentes et futures. On sait d’ailleurs que la question de l’indépendance par rapport au pouvoir politique a été, dès l’origine des universités, au cœur des débats sur leurs statuts et l’enjeu d’âpres conflits avec les universitaires. L’actuel texte voté par l’Île de France s’inscrit dans cette longue histoire et ne peut que susciter des interrogations sur le pouvoir d’action que cette région veut exercer sur les établissements publics d’enseignement supérieur.
La charte de la Région et l’indépendance de l’Université
Après cinq articles de faible valeur ajoutée, voire superfétatoires au vu de la loi et des pratiques universitaires bien établies, la charte se poursuit par le bref Article 6, qui, au nom d’une neutralité souhaitée des établissements d’enseignement supérieur, s’approche d’une normalisation politique.
« Article 6 : L’établissement s’engage à respecter le drapeau tricolore, l’hymne national, la devise de la République et tous les représentants de la République. »
Cette disposition est parfaitement contradictoire avec le statut des établissements publics d’enseignement supérieur. En effet, en réponse à une question posée par un sénateur en 2020, le ministère a formulé une mise au point concernant les symboles de la République dans les établissements scolaires et du second degré (Journal Officiel : Sénat du 10/09/2020 – page 4111) :
« Ces dispositions ne concernent pas les établissements publics de l’enseignement supérieur qui jouissent d’une autonomie reconnue par la loi. La situation de l’université, bien que faisant partie intégrante du service public de l’éducation, est tout à fait différente de celle des établissements du premier et second degré notamment car y étudient des personnes majeures. Dès lors, les établissements publics d’enseignement supérieur sont libres de s’organiser en la matière. »
On pourrait croire que cette disposition de l’article 6 est une pure déclaration de principe. Mais ce serait une erreur car l’obligation qu’elle fixe est, comme les cinq autres articles, assortie d’une sanction que pourrait prendre la région : la suspension immédiate des crédits pour l’établissement contrevenant. C’est une mesure sans précédent dans les relations entre les régions et l’enseignement supérieur qui entérine dans un texte la pratique inaugurée par Laurent Wauquiez à l’égard de l’Institut d’études politiques de Grenoble. Il s’agit donc d’une immixtion politique dans le fonctionnement des Universités qui vise à limiter la liberté académique et la liberté d’expression des universitaires et des chercheurs : elle est donc inadmissible et les présidents d’université ou des organismes de recherche devraient refuser de signer.
Outre cette disposition très contestable, ce n’est pas tant le contenu de la charte qui doit nous inquiéter que l’existence même d’une charte. Qui nous garantit qu’en cas d’alternance politique, une autre majorité, plus radicale peut-être, n’imposera pas d’autres règles à sa convenance ? Nous savons tous que ce n’est pas là qu’une éventualité théorique. Il va de soi que le principe d’une charte étant établi, le nouveau pouvoir aura toute latitude pour en proposer une nouvelle.
Les universités traversent plus ou moins bien les périodes de trouble politique. Réaffirmer leur indépendance est une nécessité, tant pour le présent que pour l’avenir.