Le recrutement par les pairs des universitaires et des chercheurs est une condition de la qualité de la production et de la transmission des savoirs. Il est aussi une garantie de l’égalité des chances dont doivent pouvoir bénéficier tous les candidats aux concours de l’enseignement supérieur et de la recherche. Seule la collégialité scientifique qui s’exprime à travers les comités et les jurys prévus par les dispositions juridiques régissant le recrutement universitaire et des organismes de recherche peut assurer la nécessaire expertise disciplinaire, sans laquelle toute décision peut paraître arbitraire.
QSF n’a cessé de rappeler que l’évaluation qui est associée au recrutement d’un universitaire ou d’un chercheur est sans doute plus importante que les appréciations qui peuvent avoir lieu tout au long de la carrière. C’est souvent de cette première évaluation que dépendent la qualité, l’attractivité et le rayonnement d’une université ou d’un organisme de recherche.
QSF, qui s’est insurgé systématiquement contre les cas de localisme, avait espéré que l’arrêt du Conseil d’État du 23 septembre 2012, annulant la décision d’interrompre le concours prise par le Conseil d’administration de l’Université de Strasbourg le 30 mai 2012, était appelée à faire jurisprudence. Cet arrêt encadrait clairement les pouvoirs accordés au Conseil d’administration (CA) par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et confirmait la prééminence donnée au comité de sélection.
Les deux cas qui viennent de se produire dans les universités Paris 8 et de Nantes, bien que légèrement différents entre eux, montrent malheureusement que l’autonomie accordée au CA par la LRU est souvent entendue comme le droit de s’affranchir des règles de droit ou de les contourner.
La première affaire concerne un poste de professeur d’histoire de l’art ouvert au concours par l’Université Paris 8. Cette université a motivé de deux façons différentes et tout aussi fantaisistes l’interruption de la procédure de ce concours. Dans un premier temps, elle a prétendu que la présidence du Comité de sélection par le garant de l’habilitation à diriger des recherches de la candidate locale constituait une « rupture d’égalité » (procès-verbal daté du 2 juin). Dans un deuxième temps, se rendant sans doute compte que ce motif n’était pas prévu par la loi, la présidente de l’Université Paris 8 a écrit à la candidate déchue que le Comité de sélection n’avait pas respecté les règles concernant l’égalité entre membres internes et externes. Ces stratagèmes ne peuvent pas justifier l’interruption du concours mais ils en disent long sur la volonté de cette université de protéger par tous les moyens, et sans crainte du ridicule, la candidate locale.
La deuxième affaire s’est produite à l’Université de Nantes. Le poste au concours était en l’occurrence un poste de maître de conférences de littérature française adossé à l’IUT faisant partie de cette université. Dans ce cas, c’est le directeur de l’IUT qui a opposé son veto à l’élection du candidat élu par le comité de sélection, entraînant la décision du CA d’interrompre le concours. La loi prévoit, certes, cette possibilité (décret n° 84-431 du 6 juin 1984, art. 9.2, modifié par le décret n° 2017-854 du 9 mai 2017, art. 1), mais l’usage de ce droit de veto, dont QSF réclame l’abolition, ne peut pas être discrétionnaire et l’avis doit être dûment motivé, la présence d’un candidat local n’étant pas une raison suffisante.
QSF regrette que les pouvoirs accordés au CA par la LRU soient ainsi dévoyés et deviennent des instruments pour défendre la pratique du recrutement endogamique. La Conférence des présidents d’université (CPU) serait inspirée de montrer à travers l’exemplarité des décisions prises par ses membres que la requête d’une plus grande autonomie des universités ne dissimule pas la volonté de réhabiliter la pratique du localisme, en passant outre le recrutement par les pairs. QSF craint que les présidents d’universités puissent privilégier les élections des candidats locaux pour des raisons purement budgétaires – c’était déjà le motif invoqué par le président de l’Université de Strasbourg en 2012, que le Conseil d’État avait justement rejeté.
Au vu de telles pratiques déplorables, on comprend pourquoi certains présidents d’universités sont désireux de supprimer les concours d’agrégation du supérieur (droit, sciences politiques, gestion et, en théorie du moins, économie), qui se fondent sur des critères objectifs.
L’université n’a cependant pas le monopole de ces dysfonctionnements et de ces abus.
Au même moment où les deux CA des universités Paris 8 et de Nantes bafouaient la volonté des Comités de sélections qu’ils avaient constitués, l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS (INSHS) bouleversait les classements établis par d’autres pairs, ceux qui composent les sections du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) constituées en jury d’admissibilité (décret du 27 décembre 1984, art. 12, modifié par le décret n° 2011-1850 du 9 décembre 2011, art. 5).
Plusieurs sections du CoNRS ont vu leurs décisions modifiées par le jury d’admission, qui, s’agissant des concours de chargés de recherche, ne concerne pas l’ensemble du CNRS (comme c’est le cas pour les concours de directeur de recherche) mais seulement les Instituts dont relèvent les sections du CoNRS (décret du 27 décembre 1984, art. 8). On rappelle que le jury d’admission n’est pas composé, pour l’essentiel, des pairs relevant de la discipline concernée.
Là aussi les raisons de ces décisions sont apparemment différentes entre elles.
En ce qui concerne la section 35 « Sciences philosophiques et philologiques, sciences de l’art » (concours 35/03, 2 postes de chargés de recherche de 2e classe), le jury d’admission est intervenu au prétexte du respect de la parité homme/femme, dont le jury d’admissibilité avait pourtant essayé de tenir compte sur l’ensemble des trois concours relevant de ses domaines de compétence. Le jury d’admission a donc déclassé de manière tout à fait arbitraire le premier (et non le deuxième de la liste principale), au bénéfice d’une candidate classée par le jury d’admissibilité en liste complémentaire et en plaçant le candidat déclassé en liste complémentaire. L’égalité homme/femme est une valeur fondamentale que QSF défend et qui doit être recherchée autant que possible, mais non au détriment de l’égalité de jugement dont doivent pouvoir jouir tous les candidats d’un concours et qui ne peut être fondée que sur un principe d’évaluation scientifique. En réalité, la question de la parité est ici un prétexte, car en section 39 (« Espaces, territoires et sociétés ») c’est une candidate qui a été déclassée au profit d’un candidat de la liste complémentaire.
L’affaire concernant la section 36 « Sociologie et sciences du droit » est, si possible, encore plus éclatante. Dans ce cas, le jury d’admission a déclassé deux des trois candidats classés en liste principale et a mis à leur place un seul des candidats classés par le jury d’amissibilité en liste complémentaire, ne pourvoyant donc que deux des trois postes de chargés de recherche mis au concours (concours 36/04, 3 postes de chargés de recherche de 2e classe). Une discipline entière, en l’occurrence la sociologie, a ainsi été privée de recrutements, en délégitimant le travail du jury d’admissibilité et en créant les conditions d’un conflit disciplinaire au sein de la section 36 du CoNRS.
D’autres cas se sont produits dans les concours de directeurs de recherche de 2e classe des sections 32 « Mondes anciens et médiévaux » et 39 (dans ce cas, l’intervention du jury d’admission du CNRS a promu quatre hommes sur les quatre postes disponibles).
QSF considère les décisions du jury d’admission de l’INSHS comme arbitraires. Elles méprisent le travail accompli par les jurys d’admissibilité (une quinzaine de jours de travail) et pénalisent iniquement des candidats que dix-sept pairs disciplinaires ont jugés dignes d’être élus. Agissant de la sorte, ce jury d’admission ne tient aucun compte de la dignité et de l’avenir de jeunes chercheurs, otages de jeux de pouvoirs obscurs.
QSF appelle la communauté scientifique, universitaire et du CNRS, à manifester son refus d’une telle interprétation des pouvoirs que les textes réglementaires accordent aux administrateurs de la recherche. QSF apporte son soutien moral et académique aux candidats pénalisés et espère que les deux cas d’interruption de concours pourront trouver une issue juridique devant le Conseil d’État.
Le rôle arbitraire joué par le jury d’admission des concours du CNRS, à défaut d’une solution contentieuse envisageable mais aléatoire, ne pourra être corrigé que par un nouveau décret réglementant les concours d’accès au CNRS. En attendant cette réforme indispensable, QSF demande au CNRS et à l’INSHS de reconsidérer sa décision et de réintégrer les candidats injustement déclassés.
QSF invite la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à se saisir au plus vite de ces questions pour que le recrutement soit soumis dans les établissements qui relèvent de son ministère aux mêmes principes de transparence, de rigueur et d’expertise par les pairs et qu’il soit ainsi un des leviers de la qualité et de l’attractivité des universités et des organismes de recherche.