Les récentes déclarations de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Mme Frédérique Vidal, ont suscité de fortes réactions dans la communauté universitaire et dans le monde politique. QSF s’associe à la condamnation des propos de la ministre, dont il y a lieu de se demander quelles considérations les ont inspirés.
Mme Vidal a cru pouvoir assumer sans aucun recul critique le thème de l’expansion de l’« islamo-gauchisme » à l’université, en l’associant au besoin d’instruire une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche », « de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Attribuée successivement, en vingt-quatre heures, au CNRS et à l’Alliance Athéna, qui se sont empressés de se récuser, cette enquête ne se fera sans doute pas, mais elle restera dans les mémoires des universitaires comme l’exemple d’une méconnaissance totale de ce qu’est l’institution dont Mme Vidal a la charge.
Quoi qu’on pense des recherches inspirées par des engagements militants, les ranger toutes sous l’étiquette d’« islamo-gauchisme » n’est pas seulement user d’un terme intrinsèquement confus et polémique : c’est pratiquer des amalgames inacceptables, et risquer des conséquences délétères, aussi bien dans l’institution universitaire que dans l’opinion. Un ministre ne devrait pas s’autoriser ce langage – la ministre de l’enseignement supérieur moins que tout autre. Le langage tenu par Mme Vidal procède d’une dérive intellectuelle dont on ne peut que s’alarmer. L’autorité de la ministre, déjà minée par sa gestion de la loi sur la programmation de la recherche (LPR), vient d’être encore davantage décrédibilisée par ses soins. Cette situation ne peut perdurer.
QSF s’alarme d’avoir à le rappeler : les universités sont des institutions de savoir, régies par des normes scientifiques qui, si elles sont difficiles à appliquer, restent les conditions contraignantes de toute recherche sérieuse. L’expansion des militantismes dans l’université se nourrit précisément de l’oubli ou de l’ignorance de ces contraintes ; mais ses dérives, quand elles se manifestent, ne peuvent pas être réglées par l’intrusion du pouvoir politique dans l’institution scientifique. Elles le seront exclusivement par l’action et la vigilance des universitaires eux-mêmes, qui savent, les premiers, distinguer la recherche sérieuse de la vocifération idéologique de n’importe quelle tendance. QSF s’étonne que Mme Vidal prétende leur imposer un contrôle de nature politique alors même qu’elle vient de supprimer ou de suspendre par la loi LPR, la qualification nationale aux fonctions de professeur ou de maître de conférences, effaçant ainsi une étape importante dans la sélection des universitaires et une garantie de leur qualité scientifique.
Un débat de fond serait à ouvrir sur la situation de la liberté académique et de la liberté d’expression dans les universités françaises, mais celui-ci ne pourra être suscité par une polémique caricaturale. Il appartient aux universitaires, à leurs associations, à la CPU, au CNU, aux chercheurs de toutes disciplines et tendances d’engager une discussion sérieuse sur la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique. QSF, qui a fait de ces questions l’une de ses préoccupations principales, va poursuivre son action dans ce sens.