Le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a publié fin février, comme chaque année, la liste des postes d’enseignants-chercheurs à pourvoir, hors « fil de l’eau ». On compte cette année à ce titre 1076 postes MCF et 619 postes PR. Premier scandale : alors que la démographie universitaire explose, ces chiffres continuent de baisser d’année en année. À titre indicatif, en 2012, 1852 postes MCF et 1218 postes PR avaient été mis au concours[1]. La précarisation de l’enseignement à l’université se poursuit à tous les niveaux.
Un autre constat s’impose avec la répartition des postes MCF par section CNU. La liste 2021 offre par exemple 74 postes en informatique (27e section), 69 en gestion (6e), 50 en économie (5e), 45 en psychologie (16e), 44 en langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes (11e). Elle propose 35 postes en STAPS (74e), 34 en information-communication (71e), 31 en sciences de l’éducation (70e), 27 en sciences du langage (7e). 29 postes sont offerts en mathématiques fondamentales (25e), dont 16 communs avec les mathématiques appliquées (26e) ou l’informatique ; 23 en langue et littérature françaises (9e), 20 en histoire moderne (22e). 5 postes seulement sont proposés en langues et littérature anciennes (8e) ainsi qu’en langues et littératures germaniques et scandinaves (12e). Pour la philosophie (17e), l’offre est réduite à 4 postes dont 1 en INSPÉ (philosophie de l’éducation), plus 1 commun avec la 72e section (épistémologie et histoire des sciences et techniques) ; s’y ajoutent virtuellement trois autres postes, l’un commun avec la 9e section (littérature française), un autre avec la 70e (sciences de l’éducation), et un en 18e sous le profil : Esthétique et philosophie de l’art.
La situation faite à la philosophie apparaît particulièrement alarmante et emblématique. Jamais, au cours des années précédentes, moins de dix postes n’avaient été offerts dans la discipline. Les quelques postes mis au concours cette année le sont, de plus, avec des profils nettement plus spécifiques que les intitulés traditionnels (métaphysique, philosophie morale, philosophie politique, philosophie des sciences, histoire la philosophie ancienne, etc.). Ajoutons que la section 35 du CNRS (Sciences philosophiques et philologiques, sciences de l’art) ne dispose en tout et pour tout cette année que de 3 postes de chargés de recherche à pourvoir (il y en avait 7 en 2017).
Dans la même discipline (philosophie, 17e section), 278 docteurs se sont présentés cette année à la qualification MCF. 184 d’entre eux l’ont obtenue. La projection sur quatre ans (durée de la qualification) d’une telle situation donnerait au maximum (hors mutation, recrutement dans d’autres sections ou recrutement de chercheurs étrangers) un recrutement sur poste MCF de 3,8% des candidats qualifiés. D’ores et déjà, certaines spécialités majeures telles que l’histoire de la philosophie moderne apparaissent sinistrées, avec au mieux un poste par an pour lequel les préférences locales jouent souvent à plein. C’est dire que la situation apparaît désespérante pour un très grand nombre de jeunes docteurs même très brillants, qui sont en l’occurrence confrontés à une année blanche.
Cette situation est hélas sans mystère. Elle a son origine dans la loi LRU qui a mis fin à toute planification nationale en matière de postes à pourvoir. D’une part, à dater de 2015 surtout, les universités se sont habituées, dans un contexte de disette budgétaire, à geler chaque année une partie des postes vacants ; d’autre part, les redéploiements sont devenus la règle, depuis les départements classiques vers les nouvelles formations ou surtout celles qui accueillent les plus grandes masses d’étudiants (notamment psychologie, communication, cinéma, STAPS). Le rétablissement financier d’un certain nombre d’universités n’a rien changé à ces pratiques. Dans certains départements de taille réduite, que ce soit en philosophie, en langues anciennes, en allemand ou même en histoire, la perte, d’année en année, des postes d’enseignants titulaires se traduit par une surcharge insupportable pour les quelques collègues en poste. En quelques années, plusieurs de ces départements ont vu fondre de moitié ce nombre de titulaires, dans un contexte où le nombre d’étudiants ne cessait de croître.
Il faut mesurer le danger, qui affecte particulièrement le secteur des humanités, mais s’étend virtuellement à toutes les disciplines fondamentales – à preuve le nombre plus que modeste de postes offerts en mathématiques pures (13 postes spécifiques à la 25e section). Si cette situation perdure, notre pays va achever de décourager une partie de ses plus précieuses vocations, encourager le cas échéant leur expatriation, rendre impossible un enseignement universitaire digne de ce nom dans les matières les plus classiques, détruire donc l’université comme conservatoire des savoirs, et mutiler dans de nombreux domaines le tissu de la recherche vivante.
QSF appelle instamment à la mise en place d’une politique efficace de soutien aux disciplines ainsi menacées, créant de nouvelles possibilités d’emploi pour les jeunes docteurs et garantissant un nombre minimal de postes d’enseignants-chercheurs et de chercheurs dans les secteurs les plus touchés.
[1] Source : Bilan social 2012-2013. Ministère de l’éducation nationale. Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Bilan_social/48/3/bilan-social-esr-2012-2013_318483.pdf