Un système de recrutements qui vise à contourner et/ou violer les grands principes républicains (juridiques et déontologiques) applicables aux concours afin de servir des intérêts électoraux et locaux, a été mise en place par l’Université de Bourgogne Europe (UBE). Un «parfum désagréable de localisme» se dégage de ces pratiques, comme l’a bien signalé le rapporteur public au Conseil d’État, qui a sévèrement désavoué, dans son arrêt du 4 avril 2024, l’UBE, son Président, son Vice-président et le Conseil académique; désaveu, doublé d’une condamnation pénale du Président du Conseil académique qui n’a pas hésité à diffamer un professeur de droit dans l’unique but de faire interrompre un concours dont le résultat (le recrutement d’un candidat extérieur à l’UBE) n’a pas plu à la gouvernance.
Ce système, qui fonctionne en dehors de toute légalité, est totalement assumé.
En effet, lors de la réunion du C.A.de l’UBE du 4 avril 2025, le Président a eu cette phrase:
«On a eu des 46.3 ouverts pour le repyramidage qui ont donné lieu au recrutement de collègues extérieurs, ça arrive [sic]. Il y a une sorte d’obligation morale [à recruter des candidats locaux sur les postes de professeur] [re-sic]» (Verbatim du C.A. du 4 avril 2025, accessible en ligne). Dans ce même document, le Président reconnaît, par ailleurs, que l’UBE est l’une des seules en France à utiliser la voie du concours national dans un objectif de recrutement local.
Au-delà des effets proprement scientifiques, susceptibles de créer un climat de démoralisation des aspirants talentueux extérieurs à l’UBE et de priver, en même temps, l’UBE des compétences précieuses, cette politique d’endogamie, qui pervertit la logique et le principe du concours national en le transformant en repyramidage déguisé, soulève des questions graves sur le plan du droit, puisqu’elle risque, d’une part, de rompre le principe d’égalité entre les candidats -auquel le Conseil d’État a pourtant reconnu la valeur de principe général du droit- et pénaliser les candidats extérieurs à l’UBE; et, d’autre part, et surtout, elle pourrait être constitutive du délit de fraude.
En effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt du 5 juin 2024 et commentaire Inès Souid, Dalloz actualité, 21 juin 2024) l’article 1 de la loi du 23 décembre 1901 réprimant la fraude dans les examens et les concours publics s’applique aux conditions de recrutement à l’université (organisation, déroulement, délibérations). La Cour de cassation considère que la loi ne fait aucune distinction entre les candidats, les organisateurs et les examinateurs, en insistant sur le fait que toute fraude commise dans les examens et les concours publics constitue un délit, peu importe l’auteur ; et que le localisme universitaire est constitutif d’une fraude au sens de cette même loi.
Deux exemples, mais qui ne sont pas les seuls, pourraient illustrer ces dérives.
L’Université applique de manière systématique une politique dite « des chapeaux » vantée par le Vice-président chargé des ressources humaines (v. entre autres, P.V. des délibérations du Conseil académique du13 septembre 2022 et du 13 sept. 2023 et, surtout, P.V. du C.A. 19 nov. 2024, accessibles en ligne). C’est une politique qui consiste à privilégier l’accès au grade de professeur des maîtres de conférences locaux; sauf que cette procédure, en violation des règles en matière de recrutement, non seulement n’est prévue par aucun texte de droit, mais est une pratique jugée illégale par le Conseil d’Etat (v. arrêts du 23 septembre 2013, Monferran, aux conclusions éclairantes de Gaëlle Dumortier et du 25 février 2015, Gilli).
En réalité, tous ces actes de délibération qui confirment la pratique «chapeaux», sont des actes juridiquement illégaux que le juge administratif aurait certainement annulés s’il en était saisi. Il s’agit de manipulations systémiques dans le but de transgresser la loi dans son esprit et dans sa lettre, ce qui est la définition même de la fraude. Or, l’UBE continue d’ignorer les décisions du Conseil d’État, elle fait comme si le droit, dit par la plus haute juridiction administrative, n’était pas applicable sur le territoire du campus de Dijon.
L’utilisation volontaire d’un dispositif juridique dévié de sa finalité a atteint son paroxysme lors du concours pour le recrutement d’un professeur de droit public en 2023 (ouvert sur la base de l’art.46 1° du décret du 6 juin 1984). En effet, des pressions énormes ont été exercées sur la présidente du Comité de sélection aux fins de recrutement d’un candidat local, aussi bien par le Président du Conseil académique de l’époque que par le Doyen de la Faculté de droit.
Au final, le concours, qui s’était déroulé dans le plus strict respect du principe d’impartialité, a été interrompu par le Conseil académique. Ce qui a donné lieu à plusieurs commentaires, y compris ironiques : « Horreur pour les bourguignons, en première position se trouvait une toulousaine. Comment justifier pareille atteinte au principe d’impartialité? Par la grâce d’un formidable tête-à-queue conceptuel, au motif que le comité de sélection avait méconnu le principe d’impartialité », peut-on lire dans Le blog juridique du monde public[1].
En effet, dans sa délibération du 1er juin 2023, le Conseil académique a inventé un motif fallacieux de partialité imputée à un membre du jury! Une véritable perversion des normes et une incroyable inversion des valeurs que le Conseil d’Etat a, fort heureusement, corrigé en annulant ladite délibération.
En définitive, si l’on comprend bien, pour être recruté comme professeur à l’UBE, mieux vaut être déjà en poste dans l’Université, plutôt qu’être méritant! L’UBE est ainsi en train de méconnaître, au-delà même du droit, toutes les exigences en matière d’éthique académique.
Charalambos Apostolidis
Professeur à l’Université Bourgogne Europe
[1] https://blog.landot-avocats.net/2024/04/09/une-universite-peut-elle-interrompre-un-recrutement-de-professeur-en-droit-public-au-nom-dun-risque-dimpartialite-alors-que-cette-interruption-se-trouve-justement-en-realite-fondee-sur-une/