La mise en œuvre de la nouvelle procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, telle qu’organisée par la loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et par le décret n°2008-333 du 10 avril 2008 relatif aux comités de sélection des enseignants-chercheurs, pose de très sérieux problèmes pratiques.
On voudrait ici en signaler un. Il ressort en effet des informations transmises par plusieurs collègues que, dans un nombre significatif d’universités, il est demandé aux membres des comités de sélection de ne pas diffuser les résultats de leurs délibérations, seule la délibération du Conseil d’administration transmettant au ministre le nom du candidat dont il propose la nomination étant le cas échéant susceptible de faire l’objet d’une large publicité.
Les collègues qui ne respecteraient pas cette obligation se rendraient coupables, selon certaines DRH, d’une faute disciplinaire ainsi que d’une infraction pénale (art. 226-13 du Code pénal, relatif à l’atteinte au secret professionnel). De plus, ils feraient peser sur la procédure de recrutement un sérieux risque d’annulation par le juge administratif.
Cette prohibition n’étant affirmée de manière expresse ni dans la loi ni dans son décret d’application, les DRH en cause sont apparemment amenées à développer les arguments cumulatifs suivants :
– Le concours de recrutement est une opération complexe (autrement dit est une somme d’actes juridiques dont chacun conditionne le suivant et permet son intervention) qui a pour terme l’acte de nomination du lauréat (arrêté ministériel pour les maîtres de conférences ; décret du président de la République pour les professeurs) ;
– Les délibérations du comité de sélection ne sont, selon les termes de la loi, que des « avis » (art. L.952-6-1 du Code de l’éducation) et sont donc simplement des documents préparatoires à une décision administrative en cours d’élaboration. Ils n’entrent ainsi pas dans la catégorie des documents administratifs communicables au sens de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal ;
– Le principe de confidentialité des délibérations du jury ferait obstacle à ce qu’un de ses membres puisse révéler le résultat desdites délibérations.
Cet argumentaire nous paraît spécieux et ne pas tenir compte du fait que la LRU, ainsi que son décret d’application ici en cause, doivent désormais être lus à la lumière de leur interprétation par le Conseil constitutionnel (Cons. Const., 6 août 2010, déc. n°2010-20/21 DC) et par le Conseil d’Etat (C.E., 15 décembre 2010, SNESUP-FSU et autres, req. n°316927).
Il ressort en effet de ces décisions que le comité de sélection est le jury du concours de recrutement. Tel est l’état du droit positif. Il convient donc de traiter les délibérations des comités de sélection de la même manière que les délibérations de tous les jurys de recrutement dans la fonction publique.
Or, il n’est nul besoin d’être un spécialiste de droit de la fonction publique pour constater que dans tous ces concours les résultats sont publiés (sous des formes variées : affichage ; publication en ligne…) avant même que les lauréats aient été nommés.
Autrement dit, le fait que l’opération complexe que constitue le concours ne soit pas terminée n’a jamais été interprété comme signifiant que les résultats doivent rester secrets tant que l’autorité de nomination n’a pas signé l’acte de nomination des lauréats.
Il convient à cet égard de rappeler que tous les jurys de concours disposent uniquement d’un pouvoir de proposition et que l’autorité de nomination n’est jamais dans l’obligation de nommer les lauréats du concours. Elle est simplement tenue, si elle souhaite procéder à des nominations, de nommer des candidats proposés et de respecter l’ordre d’inscription sur une liste de lauréats (dans l’hypothèse où il y aurait plusieurs postes à pourvoir et qu’elle ne souhaiterait en pourvoir que certains).
Ainsi, le fait que le concours soit une opération complexe ne saurait justifier que le secret doive être gardé sur ses résultats jusqu’à la publication des actes de nomination.
Ou alors cela vaut pour tous les concours et on mesure ainsi que cette (prétendue) règle est violée chaque année à propos de centaines de concours…
L’invocation de la loi n°78-753 n’est pas plus convaincante.
Le fait qu’un document n’entre pas dans le champ des documents que l’administration est tenue de communiquer ne signifie évidemment pas a contrario que la diffusion de ce document est illégale. Il existe en effet au moins trois catégories de documents : ceux que l’on doit communiquer ; ceux que l’on peut diffuser ; ceux que l’on est tenu de garder secrets.
Et, une nouvelle fois, si la loi n°78-753 interdit la diffusion des résultats des délibérations des comités de sélection il convient alors d’interdire sur cette même base la diffusion des résultats de tous les concours administratifs tant que les actes de nominations n’ont pas été signés…
Le principe de confidentialité des délibérations des jurys est également utilisé de manière erronée. Le secret porte non pas sur le résultat de la délibération mais sur le déroulement de cette dernière. Autrement dit, il est bien sûr interdit de dévoiler la teneur des débats du comité, le partage des votes, etc, mais évidemment pas le choix opéré par ce dernier.
Imaginerait-on d’ailleurs d’interdire à des magistrats, dont le délibéré est secret, de rendre public le sens de leur décision ?
Il apparaît donc que rien ne saurait valablement interdire aux membres d’un comité de sélection de diffuser le résultat de leurs délibérations.
Comment peut-on alors expliquer les réticences, voire les menaces de certaines DRH et de certaines équipes présidentielles ?
Deux éléments cumulatifs semblent pouvoir être avancés.
Le premier est juridique. Les auteurs de la LRU entendaient manifestement faire du Conseil d’administration le jury des concours de recrutement. Telle était très clairement la position du ministère de l’enseignement supérieur (Voir ainsi la circulaire du 9 janvier 2008 et la note du 23 avril 2008 diffusées auprès de toutes les universités).
Pour autant, dès lors que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont jugé que le comité de sélection est, à l’instar de feue la commission de spécialistes, le jury du concours de recrutement il convient d’en tirer toutes les conséquences et de lui appliquer le même régime juridique que celui valable pour les jurys de concours de recrutement des autres corps de la fonction publique de l’Etat.
Le second est politique. Certains présidents d’universités souhaitent manifestement avoir les coudées franches pour décider des recrutements opérés dans leur établissement. Et il est à l’évidence plus discret, et donc plus aisé, de faire modifier par le Conseil d’administration une liste dont personne n’a eu officiellement connaissance qu’une liste qui a été rendue publique.
On ne saurait bien sûr approuver une telle tentation. Les pouvoirs du Conseil d’administration, ainsi d’ailleurs que le « droit de veto » présidentiel, sont des atteintes aux libertés universitaires qui doivent être entourées de garanties, tant sur le fond que d’un point de vue procédural. Et, dans cette dernière perspective, la transparence est un sérieux rempart contre l’arbitraire.
Si quelques élus, ignorant parfois tout de la discipline en cause, décident de s’écarter de la proposition formulée par un comité composé pour moitié au moins de collègues extérieurs à l’établissement et en majorité de spécialistes de la discipline, la moindre des choses est que la communauté académique soit informée de cette situation. Mais l’on comprend que les manœuvres locales préfèrent l’ombre à la lumière…Rien pourtant, en droit, n’impose une telle opacité.
Fabrice MELLERAY
Professeur de droit public
Université Montesquieu-Bordeaux IV