Ces dernières semaines et jusqu’à la prise de parole du Président de la République, le vendredi 5 avril, quelques bribes d’informations s’étaient échappées du gouvernement, donnant lieu à de multiples interprétations. Les dernières déclarations en date, essentiellement centrées sur le professorat des écoles, annoncent la fondation d’« écoles normales du XXIe siècle », la création d’une licence spécifique à la préparation au professorat des écoles et l’instauration d’un concours à la fin de la troisième année, suivi d’une formation complémentaire dans le cadre d’un master précédant une titularisation. Le tout devrait être mené tambour battant puisque la réforme est censée s’appliquer dès septembre 2024 : deux concours, correspondant respectivement à l’ancienne et à la nouvelle formule, coexisteront en 2025. Le recrutement des enseignants du second degré doit répondre au même schéma, même si des doutes subsistent quant à la date d’entrée en vigueur de cette partie de la réforme.
Mettre en place une formation de qualité dans la précipitation, sans concertation avec les universités, est une gageure. On parle pourtant de « licence » et de « master », diplômes qui relèvent de la formation universitaire par excellence. Les actuels INSPE, qui contribuent pour une large part à la formation des enseignants, sont des composantes à part entière de l’université. Sous le couvert, quelque peu fantasmatique, de la reconstruction d’« écoles normales » dont on idéalise le passé, ne néglige-t-on pas les principes mêmes de l’enseignement supérieur et les compétences inaliénables des universités dans la conception de leurs formations ? Responsabiliser les universités de l’échec du système actuel de formation des maîtres est non seulement injuste mais une manière particulièrement biaisée de présenter les faits : les universitaires subissent depuis plus de quinze ans les effets de réformes imposées et à chaque fois conçues dans leur dos et sans la moindre concertation.
QSF ne peut que réagir contre cette disparition de l’université de l’horizon réformateur de nos dirigeants. Elle demande avec force que le projet de licence pour les professeurs des écoles relève entièrement de la compétence des universités, en concertation avec le MESR et le MENJ. Par ailleurs, si l’on veut concevoir une formation de qualité, QSF demande à revoir les échéances afin d’aboutir à un calendrier plus raisonnable.
Pour l’enseignement du second degré, hormis le principe d’un concours en fin de 3e année de licence, rien n’est dit clairement ni sur le format de ce concours, ni sur la place des savoirs disciplinaires avant, pendant et après le concours. On comprend que les pouvoirs publics souhaitent agir vite face au manque de professeurs et aux problèmes multiples qui se font jour dans les collèges et dans les lycées. Mais la formation des professeurs est un enjeu trop important pour être décidée dans la hâte. Est-ce la période pré-olympique que nous vivons qui s’étend au monde scolaire et universitaire et commande des réformes au pas de course ? Il n’est à l’évidence ni raisonnable ni concevable que, pour les dix-huit spécialités de CAPES, une formation de licence, une préparation à un concours, un programme de concours et une formation de master puissent être définis en moins de deux mois, en vue d’une mise en place effective à la prochaine rentrée.
QSF a toujours considéré que la mastérisation de la formation des enseignants était nécessaire, non seulement pour la valorisation du métier de professeur, mais surtout pour l’acquisition des savoirs indispensables – indispensables tant pour dispenser un enseignement nourri et pertinent que pour contrer la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux. Ce principe n’est en rien contradictoire avec celui d’un large pré-recrutement en fin de licence. La sensibilisation aux questions pédagogiques dans le cadre d’une licence disciplinaire, y compris sous forme de stages, est assurément précieuse pour la formation des futurs enseignants. En revanche, un concours en fin de licence sur la base d’épreuves revues à la baisse se traduira nécessairement par un déficit de formation disciplinaire. Peut-on penser sérieusement que les futurs professeurs en seront mieux armés pour exercer leur métier ?
On parlait il y a peu, pour l’Éducation Nationale, de « choc des savoirs ». La réforme qui se dessine ne peut qu’aller en sens contraire : elle aboutira au recrutement de professeurs insuffisamment formés et mal armés pour exercer leur métier. Si l’on veut réellement que ce « choc des savoirs » soit le moteur de l’amélioration de notre système éducatif, toute réforme du recrutement des enseignants ne peut se faire qu’en coordination avec les universités (dont les INSPÉ) et les sociétés savantes, afin de garantir à la fois l’autonomie des universités, la liberté académique et l’excellence de la formation disciplinaire.
QSF défendra avec la plus grande fermeté l’exigence d’une formation disciplinaire de qualité d’au moins trois ans, suivie d’une quatrième dédiée à la préparation d’un concours sur programme, et d’une entrée dans le métier en cinquième année. QSF demande l’ouverture d’une vaste consultation des responsables des formations concernées, tant au sein des universités qu’au sein des INSPÉ, débouchant sur des mesures réellement concertées : réformer la formation des enseignants est en effet une entreprise à la fois délicate, passionnante et lourde d’enjeux.