Autonomiser les universités en France est devenu un slogan, bien plus qu’une réalité. Tous les initiés savent que les universitaires agissent sous le contrôle de l’Etat. Et depuis vingt ans, la bureaucratie ministérielle gouverne – mal – les universités.
Les lois de 2007 (loi LRU dite » loi Pécresse « ) et de 2013 (loi ESR dite » loi Fioraso « ) n’ont pas changé cet état de fait. La plus grande autonomie accordée aux universités par la loi LRU s’est soldée par un immense marché de dupes. Comme il n’y a pas eu de transfert financier de l’Etat vers les universités permettant de faire face à toutes les contraintes de ce très gros poste budgétaire, ni de possibilité de fixer de manière autonome les droits d’inscription, les universités ont perdu au change et sont désormais en déficit. Le seul moyen d’y échapper est de supprimer des postes. Quand on sait que la solution envisagée pour donner plus d’autonomie financière aux universités n’a pas donné les fruits attendus, on ne peut pas être surpris par le résultat.
C’est ainsi que Bercy a imposé une cure financière aux universités, censées être mal gérées selon les hauts fonctionnaires, alors qu’elles sont sous-dotées par rapport aux autres établissements qui ont la possibilité de faire une sélection de leurs étudiants : le cas de Sciences Po Paris en est une illustration frappante.
Quant à la loi Fioraso, elle réagit en partie contre la loi LRU en opérant une recentralisation du pouvoir au profit de l’Etat. Ce dernier, au prétexte qu’il serait un » Etat stratège « , décide de la manière dont les universités devraient être regroupées et fixe, comme on le sait, l’allocation des moyens. Quand l’Etat impose à des universités dépendantes de lui financièrement avec qui ces dernières doivent ou non se marier, parler de l’autonomie des universités relève du non-sens.
L’absence d’autonomie pédagogique est tout aussi criante : c’est par arrêté ministériel que le ministère impose une réglementation détaillée qui ne laisse aux établissements aucune marge de manœuvre dans l’organisation de leurs examens. Ainsi, l’autonomie des universités est tellement » contrainte » que l’on pourrait dire que l’Etat traite ses universités comme des mineurs et en assure la » tutelle « , en dépit de textes contraires.
Comment remédier à cette situation ? Les conditions d’une véritable autonomie sont doubles. Il faut d’abord que, comme dans la plupart des universités du monde, nos établissements disposent de la liberté de choisir leurs étudiants. Chaque université doit pouvoir décider librement de fixer les conditions d’entrée dans ses cursus. Les étudiants devraient pouvoir savoir ce que l’on attend d’eux lorsqu’ils sont admis dans telle ou telle formation universitaire.
La mesure est triplement nécessaire. D’abord, parce qu’elle mettrait fin à cette idée, très répandue chez les parents, selon laquelle l’université n’étant pas sélective, il est préférable d’aller dans le secteur sélectif, même lorsqu’il est privé, cher et de mauvaise qualité. Ensuite, parce qu’elle mettrait enfin à égalité les universités avec les » écoles » qui trustent les bons étudiants sans avoir de meilleurs enseignants que les universités. Enfin, parce que c’est la seule manière d’obtenir à terme un financement des universités par le secteur privé, qui est la condition indispensable de survie des établissements publics.
La CPU et l’UNEF, nocifs lobbies
La seconde mesure d’autonomie est de desserrer l’étreinte de l’Etat sur les universités et d’arrêter cette insupportable politique de la carotte et du bâton qui régit leurs rapports et qui est prônée par une minorité académique qui s’est transformée en caste bureaucratique. Si les universités obtenaient enfin le droit d’augmenter les droits d’inscription, proportionnellement aux revenus de chacun, elles pourraient être plus indépendantes des oukases de l’Etat et adopter une politique plus appropriée pour leurs étudiants et, par voie de conséquence, pour la nation.
Si ces deux conditions ne sont pas remplies, aucune réforme ne pourra donner des universités autonomes. Un tel constat suppose d’admettre que l’Etat n’est pas le mieux placé pour diriger nos universités. En effet, en matière d’enseignement supérieur et de recherche, l’Etat n’est pas » éclairé « . S’il ne l’est pas, c’est qu’il est en partie l’otage des deux acteurs nocifs concernant la politique universitaire en France depuis plus de vingt ans : la Conférence des présidents d’université (CPU) et l’UNEF, principal syndicat d’étudiants. Ce sont ces deux lobbies qui bloquent la double réforme. La lucidité n’est rien sans le courage et il faut espérer que, très bientôt, nos politiques comprendront que le temps du courage en matière de stratégie universitaire est venu et qu’il leur faudra effectuer ces deux réformes indispensables.
Olivier Beaud
Professeur de droit public à l’université Paris-II (Panthéon-Assas), président de l’association Qualité de la science française