Antoine Petit, président du CNRS, déclare dans les colonnes du Times Higher Education (21 janvier 2020[1]) :
« Sometimes in France, we have a problem with equality, we like to have everybody equal. Science is like sport. Everybody can play soccer, but not everybody can play in the Champions League. » (« Parfois, en France, nous avons un problème avec l’égalité, nous voulons que tout le monde soit égal à tout le monde. La science est comme le sport. Tout le monde peut jouer au football, mais tout le monde ne peut pas jouer dans la Ligue des Champions. »)
Cette déclaration établit entre science et sport une analogie de toute évidence absurde :
– Si tout le monde peut en effet toucher le ballon, nul n’ignore combien le « ticket d’entrée » dans la carrière d’enseignant-chercheur est élevé : huit années d’études, au minimum et recrutement par concours hautement sélectif (1 élu sur 50 à 150 candidats suivant les postes et les disciplines) par des instances exigeantes. Les conditions de formation et de recrutement interdisent de penser qu’il puisse y avoir des chercheurs amateurs.
– La science ne peut davantage se comparer au football professionnel, dédié au divertissement des foules et dominé par l’argent. Dans la recherche scientifique, la compétition a sa place ; mais ses avancées reposent sur la coopération (les travaux des uns sont utiles aux autres), et son but n’est ni le profit ni la gloire médiatique : seulement le progrès de la connaissance, avec ses possibles applications.
De la part d’un haut responsable de la politique scientifique, de tels propos sont inacceptables. Aucun chercheur ne s’y reconnaîtra. Tous s’inquiéteront des conséquences, en termes de climat comme de gestion, d’une vision extrêmement réductrice, apparemment liée à une véritable obsession du classement et de l’inégalité. C’est ce dont témoignaient déjà les propos du même Antoine Petit qui, le 26 novembre, appelait de ses vœux une loi de programmation de la recherche « ambitieuse, inégalitaire […], vertueuse et darwinienne »[2]. Coopération et culture se trouvaient ainsi sacrifiées sur l’autel d’une pseudo-loi naturelle, par le Président du CNRS !
Ces déclarations en faveur de l’esprit de compétition contredisent en outre de manière frontale le message transmis à l’ensemble des membres du CNRS à l’occasion de la journée des femmes, le 8 mars 2019, déclarant que les médailles et promotions du CNRS seraient dorénavant octroyées de façon paritaire. Décision profondément contestable, d’une part, en ce qu’elle va à l’encontre du critère du mérite scientifique qui devrait guider la reconnaissance de l’excellence, quel que soit le sexe ou l’origine du chercheur ; et d’autre part, en ce qu’elle foule aux pieds l’autonomie de décision des experts qui attribuent ces récompenses, au mépris de leur liberté académique.
Dans le contexte critique que connait la recherche française, QSF souhaite que Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation marque ses distances à l’égard d’un tel langage. QSF attend également du Président du CNRS qu’il se tienne à la hauteur de sa fonction en révisant d’urgence ses paroles et sa doctrine.
[1] https://www.timeshighereducation.com/news/backlash-over-call-darwinism-french-research-funding
[2] https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/la-recherche-une-arme-pour-les-combats-du-futur-1150759