QSF a pris connaissance avec consternation de l’affaire de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble, où une querelle entre universitaires sur la validité de la notion d’islamophobie a dégénéré en mise en cause publique de deux d’entre eux par des organisations étudiantes. Cette affaire intervient après celle d’Aix-en-Provence, où une collègue professeur de droit a dû être mise sous protection policière après un mot regrettable sur le mode de transmission des religions juive et musulmane.
Ces deux affaires justifient les observations suivantes :
Dans le contexte que nous connaissons, la parole sur l’islam, comme dans une moindre mesure sur les questions raciales et de genre, est devenue partout électrique, y compris dans les lieux universitaires. Toute expression non contrôlée, quel qu’en soit le cadre, peut prêter dès lors qu’elle est publiée à des réactions incontrôlables. La tension autour de ces questions est encore accrue par les nouveaux supports et les nouvelles pratiques de communication : à l’affichage et à l’expression écrite ou orale dans les médias s’ajoutent le partage à large échelle des courriers électroniques, les captures vidéo (aussi systématiques qu’illégales) et la diffusion massive des messages sur les réseaux sociaux. Une vie peut être ainsi mise en danger à partir de quelques mots initialement prononcés ou écrits pour un petit nombre de destinataires
Dans ces circonstances, QSF tient à rappeler un principe élémentaire relatif à la liberté d’expression des universitaires. Cette liberté peut revêtir deux formes : elle est de nature académique quand l’universitaire s’exprime ès qualités, dans son domaine de compétence, à travers ses cours ou ses écrits ; elle est « ordinaire » lorsqu’il s’exprime en tant que citoyen sur un sujet de société ou d’actualité ne relevant pas de sa compétence disciplinaire. Dans les deux cas, cette liberté doit être respectée du moment que son usage est conforme à la loi. On ne peut accepter que ceux qui l’exercent s’exposent à des actes d’intimidation ou à des menaces de la part de ceux à qui leur parole déplaît. Il est de la responsabilité des présidences et directions d’établissements de faire respecter cette liberté fondamentale par tous les moyens à leur disposition, et de ne rien céder à ceux, y compris étudiants ou associations étudiantes, mais aussi enseignants et chercheurs, qui entreprendraient de l’entraver.
Les mêmes circonstances appellent de la part de tous le respect strict de certaines règles déontologiques de base, qui seules rendent possible une institution d’enseignement supérieur et donnent sens à la liberté académique. Ces règles proscrivent toute attaque ad hominem ; elles interdisent aux enseignants-chercheurs de prendre les étudiants à témoins de conflits avec leurs collègues, ou à plus forte raison de les inciter à quelque action contre eux. Aucun nom ne doit être livré pour quelque motif que ce soit à la vindicte publique ou communautaire ; les auteurs de pareilles actions doivent être résolument recherchés et sanctionnés. En cas de contestation, ce sont les instances de médiation internes aux établissements qui doivent être saisies en tout premier lieu, sans qu’il soit besoin d’en appeler au Défenseur des droits dont la compétence ne saurait s’étendre aux affaires internes aux universités. En dernière instance, mais seulement en dernière instance, restent des procédures disciplinaires qui doivent être réservées aux cas les plus graves où des universitaires méconnaissent manifestement leurs obligations.
Dans le même contexte, il convient de s’interroger sur la place à réserver au sein des universités à des manifestations consacrées à la défense ou à la promotion de certaines valeurs (telles les « semaines de l’égalité »). Les valeurs sont par définition des objets polémiques. Toutes, sans exception, ont prêté à controverse, et l’effort pour promouvoir telle ou telle d’entre elles n’aurait aucun sens si elle faisait l’unanimité. Il ne saurait être question d’exclure des enceintes universitaires toute initiative de nature civique ni tout débat politique ou sociétal, pourvu que les risques éventuels en aient été appréciés par les instances statutaires. Mais il est essentiel qu’une démarcation nette soit maintenue entre ces initiatives et les formations elles-mêmes. Si légitimes et urgentes que soient certaines causes qui tiennent au cœur de tous les démocrates, la vocation de l’université ne peut être l’éducation politique des étudiants. Tout éloge de l’activisme en milieu institutionnel est à cet égard irresponsable. La vocation de l’université réside toujours dans l’initiation des étudiants à des savoirs constitués et dans le développement de ces savoirs, avec les méthodologies, l’éthique intellectuelle et la distance critique qui en sont indissociables. Dans les circonstances que nous connaissons, il importe que ce point soit réaffirmé avec force par toutes les instances compétentes.