Le métier d’enseignant, on le sait, ne suscite plus aujourd’hui de vocations enthousiastes. La proportion de places non pourvues aux concours augmente régulièrement, comme la pénurie d’enseignants qui s’ensuit. Chaque année, dans bien des établissements, un professeur manque dans une ou plusieurs matières ; les absences, courtes et longues, ne sont pas toujours remplacées, au point que certains élèves perdent en heures d’enseignement non assurées l’équivalent d’une année de cours sur l’ensemble de leur scolarité.
Si cette réalité est bien connue, celle des abandons dans la préparation au concours et des démissions après concours l’est moins. Il suffit pourtant d’écouter les étudiantes et étudiants en master MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) pour comprendre leur détresse devant les injonctions multiples auxquelles ils sont confrontés : préparation d’un concours sur programme, mais en deux ans ; stages nombreux tout au long de la formation ; composition d’un mémoire disciplinaire et pédagogique exigeant entretiens, recherches bibliographiques, validation des unités d’enseignement du master ; rédaction dans l’urgence, et soutenance souvent au moment même des oraux du concours (certaines UE pouvant de plus être à rattraper en juin). À quoi s’ajoute la déception engendrée par la disproportion entre les enseignements pédagogiques, souvent perçus comme en décalage avec la réalité du terrain, et les enseignements disciplinaires, minoritaires dans la maquette du master.
Dans un tel contexte, l’obtention d’un concours pour devenir fonctionnaire n’est plus un objectif en soi. La priorité va au master, qui permet, de trouver une place comme contractuel, avec dans certains cas, l’avantage, par rapport aux fonctionnaires, de choisir son lieu d’affectation. La multiplication des statuts différenciés au sein des établissements n’a fait que contribuer à une ubérisation de l’éducation.
Cette situation n’est satisfaisante pour personne.
Pour autant, les annonces ministérielles de ces dernières semaines n’ont pas manqué de surprendre, voire de décourager les enseignants-chercheurs des universités qui assurent avec les INSPE la formation en MEEF. Voici seulement trois ans, ils élaboraient de nouvelles maquettes en vue d’un nouveau concours dont la première promotion a terminé son master 2 en juin 2023 ! Depuis la mastérisation des concours, imposée à marche forcée en 2009, la place du CAPES, pour ne prendre que cet exemple, dans l’année et dans la formation a changé au moins quatre fois.
Le Ministère de l’Éducation Nationale suggère qu’il convient d’avancer le concours et l’entrée dans le métier, d’abord pour mettre un enseignant devant chaque classe, ensuite pour faciliter le choix de cette voie par des étudiants qui ne peuvent financer leurs études jusqu’au master. Si ces raisons d’agir sont les bonnes, pourquoi ne pas généraliser certains systèmes déjà en place de bourses ou de contrats d’assistant d’éducation (AED) ?
On nous dit qu’il faut surtout leur donner les outils pour enseigner, et l’on entend parler de licence professionnalisante. C’est aller à l’encontre de principes jusqu’ici défendus de ne pas orienter les étudiants trop vite dans une voie, car il est assez normal de ne pas savoir fermement dès l’âge de 18 ans ce que l’on fera comme métier. C’est aussi considérer qu’on peut être un enseignant tout court, et non un enseignant de mathématiques, d’allemand, d’histoire-géographie, comme si on pouvait être un enseignant dans n’importe quelle matière, comme si tout enseignant de l’Éducation nationale était au fond largement interchangeable.
On nous dit qu’il faut réformer de toute urgence, en oubliant les effets de panique et de repoussoir que provoquent généralement les réformes menées tambour battant : peu claires, peu lisibles par les futurs étudiants, confusion et manque de confiance de leur part pour aller dans une voie où tout change tous les trois ans, sans résultats, sans même prendre le temps de mesurer les résultats de la réforme précédente.
QSF veut d’abord alerter sur les effets pervers de ces annonces fracassantes, faites en dépit des calendriers de formation, de maquettes, et pour tout dire, du bon sens, formulées à la hâte dans la plus grande méconnaissance de celles et ceux qui tous les jours s’efforcent de convaincre de jeunes adultes de s’engager dans une profession qui n’est pas valorisée socialement, qui est constamment accusée de tous les maux de la société. Une société qui pourtant ne cesse de mépriser les enseignants, de les maltraiter de façon institutionnelle par la démultiplication de tâches administratives chronophages, qui les paye mal, qui ne leur assure pas la mobilité géographique et sociale à laquelle pourtant ils auraient le droit d’aspirer et qui ne les protège pas des agressions physiques et morales quand ils ne font que leur métier.
QSF souhaite également rappeler les principes auxquels doivent être attachés toutes celles et ceux qui veulent vraiment que le métier d’enseignant redevienne désirable :
- La vitesse d’exécution d’une réforme ne garantit pas son succès. Elle sème plutôt la confusion auprès des enseignants et de celles et ceux qui se destineraient à le devenir.
- Pour enseigner une matière, il faut avoir eu un temps incompressible pour la fréquenter, se l’approprier et il serait catastrophique de voir arriver de nouveaux enseignants qui n’auraient eu que deux ans de cours avant une troisième année de préparation à un concours. Il convient de maintenir des formations disciplinaires riches pendant toute la durée de la licence, pour permettre ensuite une réorientation, des passerelles entre disciplines, et la professionnalisation en master.
QSF défend donc avec la plus grande fermeté l’exigence d’une formation disciplinaire de qualité, d’au moins trois ans, avec une 4e année pour préparer un concours sur programme disciplinaire et une entrée rémunérée dans le métier en 5e année. QSF demande également à ce que les responsables de formation concernés par cette réforme soient consultés et qu’ils ne soient pas de simples exécutants.
QSF souhaite enfin que le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche s’empare de ce sujet, puisque toute réforme des concours aboutit inévitablement à celle des formations universitaires.