QSF se réjouit de ce que le Ministère de l’Éducation Nationale s’empare des questions fort préoccupantes de la baisse du niveau scolaire de la France dans les classements internationaux et de l’effondrement du nombre de candidats aux concours d’enseignement du CAPES – l’agrégation étant moins concernée par le phénomène. La formation des enseignants du second degré constitue un levier de remédiation majeur, dont il importe de considérer les conséquences sociales et culturelles pour des générations d’élèves mais aussi pour les enseignants eux-mêmes. L’université est par conséquent un acteur de premier plan dans cette formation, puisque les étudiantes et étudiants y trouvent les fondements de ce qui sera leur devenir professionnel, qu’il s’agisse de l’enseignement secondaire ou de la recherche et de l’innovation. Il est donc indispensable qu’en matière de formation des maîtres le dialogue entre les deux ministères concernés s’intensifie d’autant plus que la création d’une licence spécifique implique des négociations sérieuses avec les universités, dans le respect de leur autonomie.
Après une trentaine d’années d’incessantes remises sur le métier de la formation des maîtres, soldées par une série de réformes dont le bilan n’a jamais été véritablement tiré, nous sommes maintenant à la croisée des chemins : ou les décisions amorceront un redressement salutaire et pérenne, ou elles laisseront s’installer un déclin peut-être inexorable tant pour le niveau que pour les vocations. La période actuelle est donc cruciale, car c’est tout l’avenir de l’éducation donnée dans le secondaire qui est en jeu.
Depuis l’installation du format LMD (3, 5, 8) structurant l’enseignement universitaire, la place du recrutement et de la formation des futurs enseignants a donné lieu à nombre de rapports conséquents et à une variation permanente : un concours au bout de trois ans, quatre ans, cinq ans ? Le Ministère de l’Éducation nationale semble s’orienter vers le choix d’un concours du CAPES placé à la fin de la L3, tout en conservant le principe d’une formation globale étalée sur cinq ans, en envisageant une période en alternance lors d’un master avant titularisation définitive. Le statut de fonctionnaire stagiaire devrait être accessible dès le M1, ce qui permettrait à de nombreux jeunes d’étudier dans de bonnes conditions plutôt que de lutter contre la précarité.
La deuxième question qui est régulièrement posée oppose une conception de cette formation axée sur des savoirs disciplinaires à une autre fondée sur une réflexion sur les pratiques pédagogiques et didactiques, les deux étant portées par des composantes de l’enseignement supérieur présentées et vécues comme différentes, quoique pourtant dans une relation institutionnelle, les universités et les INSPE : la formation donnée dans cette dernière, après avoir été considérée comme seconde, est devenue majoritaire dans le concours actuel. Sans doute vaudrait-il mieux considérer qu’il faut les deux, et surtout qu’il faut des enseignants à même de répondre aux défis – actuels et futurs- de la société, où la transmission des savoirs doit aussi s’adapter aux évolutions considérables auxquelles nous assistons, l’intelligence artificielle, pour ne prendre que cet exemple, étant le dernier avatar technologique, avant un autre qui suivra assurément dans les décennies à venir.
Que faut-il faire alors ? Comment répondre à la fois à la demande considérable d’enseignants dans toutes les disciplines, à la nécessité d’avoir un recrutement fiable pour une carrière de plus de quarante ans, à l’obligation d’avoir des enseignants qui puissent répondre aux multiples exigences de leur métier dans un contexte qui est difficile et qui puissent évoluer sans se perdre? On peut comprendre l’embarras du ministère, accentué par les multiples rapports et propositions qui envisagent toutes sortes de pistes souvent contradictoires, ce qui mesure à la valse des réformes depuis 2009.
Le projet actuel du ministère suppose désormais un amont du master avec sans doute, pour les futurs enseignants du secondaire, des modules spécifiques qui pourraient donner lieu à une sorte de préprofessionnalisation. QSF insiste cependant sur la nécessité absolue pour les licences disciplinaires, fondement pour un futur enseignant du secondaire, de rester centrées sur les bases indispensables pour chaque étudiant : connaître, explorer, maîtriser, considérer aussi bien les termes, concepts, les objets, les données, les méthodes que les langages de sa discipline, pas seulement par goût personnel, mais pour avoir une solidité pour toute profession et notamment pour le métier de professeur, et être capable de transmettre la passion de l’esprit critique. Avant toute méthodologie professionnelle, c’est là l’essentiel et c’est même la raison de l’attrait toujours présent pour les concours d’agrégation qui affichent clairement la priorité aux savoirs . En conséquence, un concours placé de la fin de la L3 ne doit pas évider les licences de ce contenu-là, qui est le cœur de toute discipline. Autant dire qu’anticiper trop tôt une professionnalisation serait saper les bases de cette formation : faut-il rappeler qu’un professeur sans maîtrise du savoir perd l’un des piliers de son métier ?
Dans l’immense majorité des universités françaises, les licences reposent sur des enseignements communs à une mention et ne sont diversifiées en parcours que de manière marginale. Il est utopique de croire que dans une même mention disciplinaire coexisteront des Licences fléchées « enseignement » à côté d’autres plus généralistes, car tant les finances de la plupart des universités que les effectifs des licences concernées l’en empêchent. L’intégration de modules de sensibilisation aux métiers de l’enseignement et de préparation aux concours, avec stages associés, ne peut et ne doit donc pas se faire au détriment du contenu disciplinaire, déjà alourdi par les multiples modules extra-disciplinaires qui s’y sont ajoutés au fil des ans (ateliers professionnels, transition écologique ….). La question majeure du contenu de ces enseignements est donc ainsi posée. Le concours du CAPES en effet a toujours adapté son programme à celui de l’enseignement secondaire, mais c’était après une licence universitaire complète, qui ouvrait les étudiants à une véritable dimension post-bac. Il est inenvisageable pour QSF que des enseignements professionnels sans fondement disciplinaire soient imposés dans les Licences ou que coexistent, dans le meilleur des cas, des parcours universitaires complets de licence, à côté de parcours secondarisés par leur programme.
Former et recruter les enseignants est un enjeu fondamental pour la société d’aujourd’hui et de demain. C’est pourquoi toute réforme a un impact considérable et n’est pas seulement un ajustement d’effectifs. QSF souhaite que les mesures actuellement envisagées n’oublient ni la culture ni les savoirs dans une professionnalisation trop hâtive, et les intègrent pleinement aussi bien dans la formation que dans les concours. QSF propose quelques axes de réflexion à partir desquels il serait possible de construire, avec les acteurs de la formation des enseignants, une réforme de qualité :
- On peut concevoir, et ce dès le L2, en substitut d’ateliers professionnels, des ateliers de réflexion sur la discipline ou les disciplines étudiées, en tant que matières d’enseignement menés par des universitaires. Les étudiantes et étudiants pourraient s’engager dans un processus d’approfondissement avec des programmes d’études ou de lectures complémentaires et personnelles, et le cas échéant des interventions ponctuelles de professeurs du secondaire. C’est à cette condition que les programmes du concours, si ce dernier devait avoir lieu à la fin de la L3, peuvent évaluer de véritables compétences et des savoirs de niveau Bac + 3.
- Le concours doit évaluer pour l’admissibilité les compétences disciplinaires écrites et à l’oral la capacité d’assurer un cours de qualité à des élèves de collège et de lycée. L’exigence disciplinaire ne détourne pas les étudiantes et étudiants, loin s’en faut, car c’est elle qui donne les contours et l’identité d’un professeur. L’abandon d’épreuves orales de pure didactique théorique ou d’entretien sans exigence scientifique est à cet égard impératif. La connaissance pratique du terrain, en revanche, est sans doute nécessaire en préalable par des stages de sensibilisation de courte durée, plutôt que par des formations théoriques qui pourront intervenir en Master et s’étayer sur des expériences plus longues et plus approfondies.
- Pour que les futurs enseignants du second degré puissent arguer d’un véritable niveau bac + 5, il importe que les deux années de Master poursuivent, à côté de la formation professionnalisante en INSPE, la formation disciplinaire dans un cadre universitaire, ce qui permettra un accès éventuel au doctorat ou des réorientations, impossibles dans la structure actuellement envisagée.
QSF réaffirme son attachement à un concours national et disciplinaire, pour lutter contre le recours massif à la contractualisation, dont personne ne peut se satisfaire. Enfin, il est indispensable que tout enseignant du secondaire puisse, tout au long de sa carrière, bénéficier d’une formation continue dans le cadre universitaire pour ne pas décrocher progressivement des acquis de la recherche dans sa discipline.