Dans une étude publiée sur un site consacré au droit constitutionnel, nous avons tenté de montrer que l’amendement gouvernemental déposé le 17 juin et adopté par le Sénat, modifiant l’article 15 bis de la loi relative à la transformation de la fonction publique et consistant notamment à l’attribution de la juridiction universitaire d’appel était une atteinte manifeste au principe constitutionnel d’indépendance des universitaires[1]. Il nous est apparu également que la justification avancée par le gouvernement, à savoir un prétendu laxisme du CNESER disciplinaire en matière de violences sexuelles et sexiste, était démentie par une étude objective de la jurisprudence de ce même CNESER[2].
Il est pourtant nécessaire de compléter notre analyse par l’examen de l’objection sans cesse avancée par certains de nos collègues universitaires, pour lesquels nous avons une profonde estime, selon laquelle le CNESER disciplinaire n’était plus défendable en tant que tel. Il se serait discrédité – disent-ils – par sa jurisprudence souvent arbitraire, incohérente ou laxiste et par sa méconnaissance du droit procédural, de plus en plus complexe à cause de la jurisprudence de la CEDH. La professionnalisation de la justice universitaire condamnerait le système actuel qui serait devenu anachronique et donc dépassé. Concernant le jugement des universitaires, – nous laissons ici de côté le contentieux des étudiants — le plaidoyer en faveur de la « professionnalisation » et le réquisitoire contre les défaillances du CNESER disciplinaire ne sont pas sans pertinence, il faut bien en convenir. Il suffit de renvoyer à l’étude informée qui vient d’être publiée dans la Revue du droit public pour s’en convaincre[3]. Mais il y a des nuances à apporter à un tel constat et aussi une correction à y faire.
Pour les nuances, il faudrait, pour être le plus objectif possible, reconnaitre que le CNESER disciplinaire s’est globalement amélioré lors des deux derniers mandats. (2011-2019). Il l’a fait parce qu’il a eu pendant ces huit années, un excellent président, le professeur Mustapha Zidi, un universitaire d’une grande probité et d’un certain courage. Il a réussi notamment, au début de son premier mandat à se débarrasser d’une secrétaire générale problématique, après un long conflit, et il a pu, depuis lors, s’appuyer sur un secrétaire, greffier de formation (M. Eric Mourou), d’une grande rigueur et bénéficier de l’appui de deux juristes, ce qui n’était pas négligeable dans certains cas. Il serait difficile de trouver dans la jurisprudence des dernières années certaines décisions aberrantes qui ont été prises par le passé, comme celle de 2006 où le CNESER réussit l’exploit de ramener à cinq ans d’interdiction d’exercice et privation de la moitié de son traitement un maître de conférences révoqué par la section disciplinaire et qui avait été condamné au pénal pour viol, avec circonstances aggravantes !… Le CNESER revient de loin, il faut bien l’avouer, mais c’est, paradoxalement, au moment où il redevenait une juridiction sérieuse – ou si l’on veut « globalement – sérieuse — qu’on décide de la réforme en en confiant les clés à un conseiller d’Etat…. .
Il n’en demeure pas moins vrai que le CNESER disciplinaire connaît de véritables dysfonctionnements. Le ministère a beaucoup communiqué sur cette bourde d’une de ses décisions qui reconnaît une faute, sans l’accompagner de sanction. Ici, l’incohérence logique semblant ici évidente. On fera toutefois remarquer que le Conseil supérieur de la magistrature a fait de même à propos du juge Courroye, sans qu’il n’y eût par la suite de réforme du CSM – une juridiction composée majoritairement de magistrats. Il semble bien y avoir deux poids et deux mesures. Pour ce qui concerne l’actuelle justice universitaire, il faut bien convenir, à la lumière de certaines témoignages – informels et anonymes par définition – que l’appartenance syndicale n’est pas toujours un gage de qualité de sorte que la composition du CNESER disciplinaire est d’un niveau « hétérogène ». Il semblerait même que certains de ses membres croient qu’ils sont dans cette juridiction pour défendre avant tout une cause syndicale alors qu’un universitaire conscient de ses devoirs devrait oublier justement son appartenance syndicale quand il y siège.
Il est donc évident que la justice universitaire doit être réformée de fond en comble dès lors que, d’une part, il y a une multiplication du contentieux et une complexification du droit en raison de la jurisprudence de la CEDH (art 6, droit au procès équitable). Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les universitaires ne sont pas restés inactifs et étaient conscients de la nécessité d’une réforme pour améliorer la situation. A la suite du rapport d’inspection du conseiller d’Etat en 2013, le président de la juridiction – on l’a vu plus haut — a proposé un plan de réforme en 213 au ministère. Sans suite évidemment. Le mois dernier, l’association QSF a proposé dans un communiqué[4], une série de réformes pour améliorer l’institution, posant la question taboue du monopole des syndicats ou des associations représentatives dans la composition de la juridiction. Plutôt que d’affronter cette question politiquement explosive, le ministère et le gouvernement ont cru bon de le contourner en sortant leur carte magique : l’appel au Conseil d’Etat. Mais est-il bien raisonnable de surcharger cette si haute institution avec des affaires si mineures, parfois des histoires de « corne-culs » ? Est-il raisonnable, en outre, d’alourdir les dépenses publiques car on peut être certain que, à la différence des universitaires, les conseillers d’Etat sauront se faire attribuer une prime conséquente pour assurer cette « délicate » mission ?
Prenons un peu de recul et évaluons l’actuelle réforme au regard d’une évolution plus large du statut général des universitaires. Le constat est accablant. La liste des modifications récentes effectuées au détriment des universitaires qui sont de plus en plus écartés des responsabilités élevées est impressionnante : la présidence d’une université peut être assurée par un enseignant du secondaire non docteur, les sections du CNU peuvent être composées de chercheurs contractuels, les fonctions de recteur ne requièrent plus un doctorat, etc.. Et maintenant, la présidence de la juridiction universitaire leur échappe. La dégradation du statut est impressionnante, sans compter la plus importante et la plus scandaleuse, à savoir la diminution des traitements que le gouvernement ose combattre avec une ridicule prime pédagogique. Et parallèlement, le gouvernement lance une concertation sur l’attractivité de la carrière de chercheurs et d’universitaires. Est-ce bien sérieux ? Quelle attractivité reste-t-il pour un corps qu’on traite si mal ?
Notre dernier mot sera adressé à nos collègues, universitaires qui se gausseraient de l’inanité que constituerait cette défense « vieille école » de la justice universitaire. Eh bien, nous leur souhaitons de ne pas être victimes un jour d’un président d’université – un président « à la mode LRU » cela va sans dire — qui leur serait hostile et qui déclencherait une procédure disciplinaire pour régler un conflit personnel et faire taire l’opposition dans « son » université. Nous leurs demandons d’imaginer ce qui se passerait pour eux en appel devant ce CNESER disciplinaire, new look, présidé par un conseiller d’Etat et donc nécessairement devenu plus sensible aux nécessités du management des universités. Ils pourraient relire avec profit cet article, mais ce serait trop tard pour eux…
Olivier Beaud
Professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas
Président d’honneur de QSF
[1] http://blog.juspoliticum.com/2019/07/05/la-justice-universitaire-mise-sous-la-tutelle-du-conseil-detat-le-coup-de-grace-donne-au-principe-constitutionnel-dindependance-des-universitaires-1-2-par-olivier-beaud/
[2] http://blog.juspoliticum.com/2019/07/05/la-justice-universitaire-mise-sous-la-tutelle-du-conseil-detat-le-coup-de-grace-donne-au-principe-constitutionnel-dindependance-des-universitaires-2-2-par-olivier-beaud/
[3] Art« Le prononcé des sanctions disciplinaires à l’encontre des enseignants-chercheurs : le bilan contrasté d’une justice spécialisée », RDP, 2019, n° 3, pp. 663 et suiv.
[4] Communiqué du 20 juin 2018 https://www.qsf.fr/2019/06/20/communique-de-qsf-sur-lamendement-relatif-au-cneser-disciplinaire-la-remise-en-cause-de-lindependance-de-la-justice-universitaire/